samedi 20 février 2010

Les "battues" du Vert-Galant.

Légende et réalité font bon ménage en ce qui concerne les amours du béarnais. Et rarement, un roi nous est apparu si…humain.

Un avant-goût prononcé pour les femmes dès sa prime enfance ?

Le jeune prince du Béarn a vu défiler huit ou neuf nourrices « bien carrées de poitrine et bien brunes de peau »selon Péréfixe. Plus tard, durant son adolescence, Jeanne d’Albret ne cesse de veiller au grain. Très rigoureuse, cette mère vertueuse exige pour l’héritier à la couronne de Navarre, le meilleur en matière d’éducation et lui interdit les femmes, « ruines de l’âme du corps et de la réputation». Elle écrit au théologien protestant Théodore de Bèze : « Mon fils croît en stature et déteste le vice ». Ventre-saint-gris ! En réalité, Henri ressemble terriblement à son père Antoine de Bourbon, séducteur impénitent et infidèle notoire.

Au fil des années, l’amour devient son point faible, son talon d’Achille, son réconfort, son oxygène. « Sans amour, je serai sans vie » écrit-il. Un de ses contemporains le dit même « esclave de cette passion amoureuse » qui le transforme en romantique éclairé ou en malade mélancolique lorsque les maux remplacent les mots.
Après avoir mugueté et compté fleurette entre Pau et Nérac, le jeune roi de Navarre parfait son expérience amoureuse durant les premières années de son mariage, coincé entre sa jeune épouse Marguerite de Valois et les plus belles femmes de l’escadron volant de Catherine de Médicis.

La belle Margot lui déclare la guerre

A la cour de France où le luxe s’étale comme les chairs, où le pêché n’existe pas, ces créatures démoniaques lui permettent d’étudier, d’explorer les dessous du plaisir. La belle Margot, bien obligée d’accepter la situation, gère les liaisons de son époux, de la comtesse à la femme de chambre. Mais de retour dans le sud-ouest, les choses se compliquent lorsqu’il lui demande d’accoucher secrètement elle-même une de ses maîtresses, La Fosseuse. Goujat le Béarnais? Le pragmatisme demeure sa qualité première.
Dès sa rencontre avec Diane d’Andoins - la belle Corisande, Margot en subit les conséquences, contrainte à s’exiler et à lui déclarer la guerre. De toute évidence, le roi de Navarre n’a d’yeux que pour celle qui va devenir son premier grand amour, sa confidente, sa conseillère politique. Seuls au monde malgré le bruit des bottes. Corisande l’appelle tendrement « Petiot » ; Henri lui écrit des lettres enflammées : « Votre esclave vous adore violemment. Je te baise mon cœur un million de fois les mains ».
Elle est la seule qui va aimer l’homme plus que le roi, lui donner amour, argent et toute l’énergie pour l’aider à devenir un monarque reconnu par tous les Français. Lui, s’engage à l’épouser par une promesse signée de son sang puis fait un enfant à sa nouvelle maîtresse Esther, une jouvencelle de seize ans, à La Rochelle où les combats font rage. Diane enrage. Henri vogue désormais vers d’autres sirènes.

Gabrielle la passion de sa vie.

Pendant le siège de Paris, Henri IV mène une vie de bâton de chaise, sans rompre. Solide comme un roc jusqu’à ses extrémités les plus intimes, le Vert-Galant n’a-t-il pas dit : « Jusqu’à quarante ans, j’ai cru que c’estoit un os ? ». Le guerrier accumule les victoires, les « battues galantes » et nombreux sont les trophées conquis pour une nuit ou pour la vie: la femme d’un général, une abbesse, la sœur de celle-ci, une cousine, une fille de joie et… un ange tombé du ciel : Gabrielle d’Estrées. Le roi accorde toutes les faveurs à cette jeune femme issue de la petite noblesse qui va devenir la passion de sa vie: argent, domaines, titres. Devant des courtisans horrifiés, il lui offre la bague du sacre et lui promet le mariage. Pour la première fois, une favorite sera reine de France, les enfants légitimés. Le pape condamne ; les plus extrémistes fustigent « la putain du roi » surnommée « duchesse d’ordures » mais Henri fait la sourde oreille et continue à manifester un amour inconditionnel à sa bien-aimée: « Je suis et serai jusqu’au tombeau votre fidèle esclave » lui écrit-il. Quand elle meurt prématurément, enceinte de leur quatrième enfant, il est anéanti par le chagrin : « La racine de mon amour est morte. Elle ne rejettera plus ».
Trois petits mois suffisent aux conseillers du roi pour régler son divorce, pour organiser un mariage avec la riche héritière Marie de Médicis ; et au roi de France pour se refaire une santé : il vient de succomber aux charmes diaboliques d’Henriette d’Entragues, « le bec le plus effilé de la cour ». Et les conseillers de s’arracher les cheveux !
Si les Guerres de religion sont terminées, les ennuis commencent au sein de la famille royale. Henri IV installe épouse et concubine au Louvre, une cohabitation plus que difficile. L’italienne qui a connu une courte lune de miel, le temps de donner un Dauphin à la France, ne supporte pas les frasques répétées de son époux. La nouvelle favorite quant à elle, furieuse d’avoir été évincée de la première marche du pouvoir, complote contre le roi. Faible, l’amoureux transi perd sa lucidité politique et pardonne. Henriette le tient par la barbichette, le malmène sur l’hygiène, arguant qu’ « il puait comme une charogne » ou sur sa virilité, le surnommant « capitaine bon vouloir » devant des courtisans abasourdis. Le roi s’en justifie dans une lettre : « Mon menon, je viens de prendre médecine afin d’estre plus gaillard pour exécuter toutes vos volontéz ». Pavé dans la légende henricéenne !

Un harem royal

Pendant qu’un harem royal s’organise au château, les mauvaises langues chuchotent que le roi passe « plus de temps à démêler les affaires de cœur que celles du royaume ». En effet, de nouvelles maîtresses, de plus en plus jeunes, comme Jacqueline de Bueil ou Charlotte des Essarts, viennent grossir les rangs. Les accouchements se succèdent. Henri s’en amuse : « Il me naît un maître et un valet ». Tous ses enfants, légitimes et légitimés, sont élevés à Saint-Germain-en-Laye au grand dam de la reine. Dehors, les pamphlétaires se déchaînent tandis que l’ambassadeur du Saint-Siège indigné, décrit au pape le « sacré bordel » à la cour de France.
Lassé par tant de disputes et d’insultes, le roi de France croise le regard de Charlotte de Montmorency lors de la répétition d’un ballet au cœur du Louvre et le barbon tombe sur-le-champ amoureux du tendron âgé de quatorze ans. A la vue des manœuvres royales, le mari jaloux enlève l’« ensorcelante beauté » et se réfugie à Bruxelles. Et l’amourette se transforme en affaire politique ; pire, l’état de guerre est déclaré !

Tout au long de sa vie, Henri le Grand a eu besoin de s’entourer de femmes. Prêt à offrir la couronne de France ou à déclencher une guerre par amour, il n’a jamais franchi le Rubicon mais, s’il a voulu la paix à l’intérieur du royaume comme au sein de sa famille, il a souvent connu la guerre.
Le 14 mai 1610, le Vert-Galant déterminé à récupérer Charlotte son amour platonique, meurt devant l’auberge « au cœur couronné percé d’une flèche ». Du symbolisme au dynamisme du mythe. Clin d’œil de Cupidon ?